Comment accompagner les émotions des petits?

Une interview avec Aletha Solter

L’interview suivante a été publiée dans le bulletin numéro 164 de l’Enfant et la Vie (automne 2010).
En voici quelques extraits.

English version: How can we respond to babies's emotions?

 

De retour d’une tournée de conférences en Suisse et en Allemagne en 2010, Aletha Solter (auteure et psychologue suisse-américaine) a répondu aux questions de l’équipe de l’Enfant et la Vie depuis les Etats-Unis où elle réside.

Odile: Parlez-nous de votre formation avec Piaget et de vos convictions éducatives depuis les débuts.

Aletha Solter: A l’université de Genève, j’ai suivi durant deux ans les cours du professeur Jean Piaget, et j’ai trouvé ses idées passionnantes. L’essentiel que j’ai appris de lui est la possibilité de formuler des théories sur le développement mental à partir de la simple observation objective du comportement de l’enfant. De la même façon j’ai construit des théories au sujet du développement émotionnel à partir de l’observation des enfants sans me laisser influencer par d’autres théories : Je me suis demandé, par exemple, la signification profonde du sucement du pouce, des doudous, d’une peur de monstres, du jeu de coucou, d’un enfant qui veut jouer ‘au bébé’, de l’agressivité ou d’une crise de colère.

Après avoir reçu un diplôme en biologie humaine à Genève, je suis allée en Californie où j’ai complété mon doctorat en psychologie. Quand mon fils est né en 1977, j’ai commencé à m’intéresser au développement des émotions chez l’enfant. A part le travail de John Bowlby, on ne savait pas encore grand-chose au sujet de l’attachement et de l’effet des traumatismes. Maintenant, on en sait beaucoup plus. Je suis contente chaque fois que des recherches au sujet des émotions de l’enfant, de l’attachement, et des traumatismes soutiennent les thèses que j’avais développées intuitivement quand mes enfants étaient petits. J’ai incorporé beaucoup de cette information dans mes livres, par exemple la recherche sur l’importance du contact physique, le bénéfice des pleurs et des rires, les effets négatifs des punitions et l’effet des traumatismes.

Odile: Peut-on parler d’une méthode ?

A.S.: Je n’aime pas le terme méthode, puisqu’il n’y a pas de recette à suivre. De plus, cette façon d’élever les enfants comprend des éléments différents, notamment la formation de liens étroits par le parentage proximal (portage, allaitement, cododo, réponse immédiate aux pleurs), une discipline sans punition et des outils pour aider les enfants à guérir du stress et des traumatismes. J’appelle l’ensemble de ces éléments "Aware Parenting" (en français: l’éducation consciente). Cette façon d’accueillir l’enfant demande énormément de disponibilité de la part des parents. C’est une occasion merveilleuse de faire notre propre cheminement psychologique, car nous sommes presque obligés de revivre notre propre enfance et la remettre en question.

Bénédicte: Avec les découvertes récentes des neurosciences sur les dégâts éventuels du cerveau d’un bébé que l'on laisse pleurer à outrance, votre position au sujet des pleurs des bébés évolue-t-elle ?

A.S.: Ma position sur les pleurs n’a pas changé, car les pleurs ne sont pas dangereux pour un enfant en bonne santé. Je conseille aux parents de toujours prendre le bébé dans les bras lorsqu’il pleure. Aucune recherche ne démontre des dégâts cérébraux d’un bébé qui pleure dans les bras de sa mère. Par contre, quand un enfant est séparé de ses parents et pleure tout seul, son cerveau est envahi par tout un cocktail d’hormones de stress (le cortisol, par exemple) qui peuvent endommager le cerveau à long terme. Ce n’est pas le fait de pleurer qui déclenche ces hormones, c’est la terreur de se sentir abandonné qui les provoque.

Linda: Un bébé a besoin de téter fréquemment au début pour un bon démarrage de la lactation, il en est de même en période de poussée de croissance ou lorsque la maman a une petite contenance de lait du fait de sa morphologie. Si le bébé ne tête pas très fréquemment, il y a risque de déshydratation. N’est-il pas dangereux de donner un nombre de tétées à ne pas dépasser par jour ?

A.S.: Je conseille vivement l’allaitement maternel. J’ai allaité chacun de mes enfants jusqu’à l’âge de deux ans et demi. Dans mon livre Pleurs et colères des enfants et des bébés j’ai écrit (à la page 84): "On peut s’attendre à ce que le bébé manifeste sa faim environ 2 heures et demie à 3 heures après avoir été nourri et à l’allaiter huit à dix fois par 24 heures… Mais ce n’est là qu’une indication. Les bébés ne devraient pas être nourris en fonction de l’horloge, mais selon leur appétit. Les tétées peuvent être plus fréquentes au cours des premières semaines pendant lesquelles la sécrétion lactée se développe, ainsi que dans les circonstances suivantes: accès de croissance, croissance insuffisante, canicule, maladies ou avec les bébés qui s’allaitent très peu à la fois."

Linda: Le besoin de contact physique du tout petit avec ses parents est très important pour son développement. Si un bébé se calme au sein, en quoi est-ce gênant ?

A.S.: En effet, le contact physique est indispensable pour le développement sain de l’enfant. Dans mes livres, je conseille aux parents de porter leur bébé autant que possible pendant le jour, de dormir avec lui pendant la nuit, et de le nourrir au sein. Il est également important de répondre immédiatement aux pleurs de l’enfant, en tenant compte du fait que chaque cri n’est pas forcément signe de faim ou besoin de téter. L’interprétation correcte des pleurs est l’élément décisif. Il y a des moments où le contact physique accompagné d’une écoute attentionnée peut être plus salutaire qu’une tétée. Si on essaie de calmer un enfant au sein chaque fois qu’il a besoin d’évacuer son stress, il risque d’apprendre que sa maman ne veut pas l’écouter et il commencera à réprimer ses émotions.

Agnès: Mon enfant se réveille encore une ou deux fois par nuit alors qu'il a bientôt 7 mois. Est-ce parce qu'il n'a pas la possibilité de se libérer suffisamment par les pleurs, ou parce qu'il a faim ? Je lui donne le sein (dans le doute je préfère!) mais je souhaiterais qu'il fasse ses nuits.

A.S.: Avec l’information décrite dans mes livres il est tout à fait possible d’aider un bébé à "faire ses nuits" sans jamais le laisser pleurer tout seul. Quand les bébés évacuent le stress en pleurant suffisamment pendant la journée et aussi au moment du coucher (dans les bras d’un parent, bien sûr), ils arrêtent spontanément de réclamer le sein pendant la nuit. Ceci est plus probable après l’âge de six mois. Mais la mise en pratique de ces idées varie avec chaque enfant. Votre enfant mange-t-il déjà des aliments solides ? Est-ce que son poids est normal ?

Odile: Dès 1991, L’enfant et la vie vous a reçu dans le nord et vous a fait connaître dans ses colonnes. Comment expliquez-vous cette réactivité "pour" ou "contre" au sujet de votre apport depuis ?

A.S.: Les nouvelles idées stimulent toujours beaucoup de débat, ce qui est normal et sain. Mais les nouvelles idées sont aussi souvent mal comprises et déformées. Je conseille aux parents de rester ouverts, de lire soigneusement mes livres, et de faire leurs propres expériences avant de former une opinion.

 

Aletha Solter

Aletha Solter est une psychologue suisse américaine qui habite en Californie. Conférencière internationale et fondatrice de The Aware Parenting Institute, elle est reconnue pour son travail au sujet du développement émotionnel et de l'éducation des enfants. Quatre de ses livres ont été traduits en français (aux Editions Jouvence), notamment À l'écoute de mon bébé, Bien comprendre les besoins de votre enfant, Pleurs et colères des enfants et des bébés et Développer le lien parent-enfant par le jeu.

The Aware Baby in French (revised edition)
À l'écoute de mon bébé
Helping Young Children Flourish in French
Bien comprendre les besoins
de votre enfant
Tears and Tantrums in French
Pleurs et colères
des enfants et des bébés
Attachment Play in French
Développer le lien parent-enfant par le jeu

Articles en français sur ce site:

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Interview avec Aletha Solter: Les jeux d'attachement pour débloquer des situations

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Dernière mise à jour le 27 mars, 2021. Copyright © 2010 par l'Enfant et la vie. Tous droits réservés. Aucune partie de cet article ne peut être reproduit ou transmis sous aucune forme et par aucun moyen, électronique ou mécanique (y compris en le copiant vers d'autres sites web, et y compris les traductions), sans l'autorisation écrite l'Enfant et la Vie et d'Aletha Solter. Ces conseils ne doivent pas être utilisés comme un substitut à un avis ou à un traitement médical. Si vous suspectez une maladie psychologique ou physique de votre enfant, consultez absolument un médecin.

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